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Rebâtir des marchés de confiance: les sources du paradoxe

Cinq mois après l’arrivée de la Covid, les activités reprennent de façon graduelle mais les frontières demeurent fermées. On ne voit pas la fin de la distanciation physique et, selon Léger, 86% des Canadiens craignent une seconde vague. Aussi bien dire qu’on a encore les deux pieds dedans.

 

S’il est bien difficile de prévoir la suite, on peut quand même tenter de lire les tendances qui se dessinent. C’est aussi un bon moment de déterminer avec nos valeurs et nos espérances ce à quoi l’avenir devrait ressembler. Du côté économique, on constate les inquiétudes liées à la rupture des chaînes d’approvisionnement, la remise en question du commerce longue distance et une nouvelle affection pour l’achat local.

En terme politique, la crise accroît l’interventionnisme de l’État et rappelle son rôle incontournable à promouvoir l’intérêt public national. Par contre, les organisations internationales peinent à coordonner une action collective et les dirigeants nationaux n’arrivent pas à leur donner l’impulsion nécessaire pour rebondir. Pire, certains attaquent directement ces organisations comme l’illustre le retrait américain de l’Organisation mondiale de la Santé.

L’économique et le politique se conjuguent et alimentent une tendance au repli.

On a entendu se multiplier les appels à la souveraineté alimentaire justifiée d’abord par une question de salubrité alimentaire associée à l’origine du virus, puis par les craintes de rupture d’approvisionnement découlant de la fermeture des entreprises.

Ensuite, avec la multiplication des cas et des hospitalisations, c’est la sécurité sanitaire qui a pris le devant de la scène. Les inquiétudes concernant la disponibilité des médicaments, le « hijacking » d’accessoires médicaux aux aéroports chinois et le « quant-à-soi sanitaire » de nombreux pays ont exacerbé les pénuries, aggravé la propagation et suscité une tension supplémentaire entre pays.

De nombreux dirigeants ont annoncé leur intention de ne plus avoir à subir une trop grande dépendance à l’égard des produits alimentaires et sanitaires. Il semble assez clair que des actions concrètes seront adoptées.

Le protectionnisme naissant ratisse cependant beaucoup plus largement. Attisée par la crise, l’opinion publique réagit. La délocalisation de production est dorénavant perçue comme une menace. Le libre-échangisme est tout à coup moins vertueux.

On rapporte une résurgence de gestes racistes et la relation de nombreux pays avec la Chine se refroidit. Au Canada, un récent sondage démontre que quatre citoyens sur cinq s’opposent à confier à Huawei l’implantation du réseau 5G. L’appui à l’idée de prioriser les efforts commerciaux avec la Chine est passé de 40% à 11%. De son côté, le Premier ministre britannique, Boris Johnson élabore « Project Défend », une stratégie pour réduire les effets de la trop grande dépendance au marché chinois. L’Australie est pris au piège entre le marché chinois et l’allié américain.

Bien entendu, un des moteurs de cette tendance au repli réside dans les effets directs de la pandémie qui a entraîné l’arrêt brutal de l’économie et la fermeture des frontières. Dans ce contexte, l’État national renoue avec sa responsabilité fondamentale d’assurer le bien commun, en dispensant les soins de santé, en soutenant les citoyens et entreprises durant la période d’´hibernation économique et en assurant le respect des mesures d’ordre. Le travail, la culture, le sport, le tourisme, tout semble paralysé, ne reste que l’État qui prend toute la place au rythme des conférences de presses quotidiennes.

Le cycle politique initié par Reagan et Thatcher qui avait mis de côté la notion de « l’État à tout faire » des années d’après-guerres semble à son tour arrivé à terme. La pertinence de l’État pour épargner des vies et répondre aux nouvelles inquiétudes s’affirment. On parle de nationaliser les résidences pour aînés et même de renationaliser Air Canada.

Dans un contexte de désordre mondial et d’incapacité des organisations internationales à répondre à la crise, l’État national super-actif apparaît pour plusieurs comme un refuge. Nous regardons à l’étranger pour comparer nos résultats face à la pandémie et y trouver les meilleures solutions sanitaires, mais pour le reste, c’est chacun pour soi.

C’est certainement le grand paradoxe de ce tsunami viral qui ne connaît pas de frontières. Nous sommes tous confrontés en même temps à un ennemi commun et nous savons qu’à défaut de gagner cette guerre partout, il n’y aura de paix nulle part.

Alors que cela devrait nous rapprocher, inciter à la complémentarité de nos actions, nous voilà de plus en plus méfiants face aux autres et dépourvu d’institutions supranationales capable de dessiner la réplique.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

À trop diagnostiquer le présent et à vouloir pronostiquer l’avenir, on perd de vue le passé récent. La montée du populisme identitaire et du cynisme démocratique, produit de la polarisation accrue ont laissé un champ de division et de méfiance. Le Brexit et le Trumpisme en sont des illustrations.

Avec arrogance, à coup de tarifs et autres mesures arbitraires, les grandes puissances inquiètent dorénavant leurs propres alliés. Les grandes alliances historiques se disloquent, les règles ne tiennent plus, la décence passe à la trappe, la méfiance s’installe à demeure. Au Canada, après des décennies de libre-échangisme porté haut et fort par les milieux économiques, le patronat décrète maintenant la fin du « libre échange en culottes courtes ».

Le politique ne semble pas tenir le coup pour soutenir des environnements commerciaux internationaux stables et prévisibles.

Entre l’État nation et le monde, il y avait ces alliances qui tenaient lieu de pont vers un certain ordre international. Alors que ces relations privilégiées titubent, l’incapacité des organisations internationales à prendre le relais est manifeste.

Aujourd’hui, en pleine pandémie qui justifierait pourtant un rôle accru pour un ordre international, on ne peut que constater une brisure, un désordre. La crise actuelle n’a pas créé cette situation, elle nous en révèle cependant les plus mauvais aspects.

Comme le rappelle Mivile Tremblay du C.D.Howe : « L’étroite collaboration internationale au sein du G-20, qui a joué un rôle précieux durant la Grande Récession d’il y a 12 ans, manque maintenant à l’appel du Grand Confinement. Les pays s’agitent en ordre dispersé dans un monde du G-0. Le traditionnel leadership américain est devenu contre-productif et la Communauté européenne n’arrive pas à s’entendre pour soutenir ses membres les plus faibles. »

Le passé récent explique l’incapacité politique de susciter une collaboration entre les Nations pour mener la bataille sanitaire contre le virus commun. Il est aussi en partie responsable du repli et de la difficulté à soutenir un ordre juridique international stable et prévisible essentiel au progrès économique.

 

Autant dans notre lutte commune contre la pandémie que pour éviter un coûteux repli sur soi économique, le politique doit se ressaisir. Il doit être capable de générer un nouvel ordre entre Nations;  porteur de confiance pour les citoyens et pour les entreprises.

 

Apportons des nuances, le portrait n’est pas tout noir, certains s’y emploient déjà. En début 2019, par le traité d’Aix-la-Chapelle, Emmanuel Macron et Angela Merkel affirment leur intention de faire converger leurs politiques économiques, d’éducation, de recherche, de défense et de politique étrangère. Paris et Berlin veulent renforcer le projet européen.

En avril 2019, le Canada et de nombreux autres pays rejoignent la France et l’Allemagne au sein de l’Alliance pour le multilatéralisme. Ce regroupement considère le respect du droit international comme seule garantie de stabilité et de paix. Parmi les ambitions des pays membres, on note leur désir de réformer les organisations internationales pour les rendre plus inclusives, représentatives, démocratiques et plus efficaces de manière à produire des résultats concrets pour les citoyens.

Somme toute, avant la pandémie, des pays étaient déjà à la recherche d’alternatives au déclin de l’ordre mondial.

La manifestation la plus tangible de ce courant fut certainement la lettre publique commune des leaders politiques du Canada, de l’Italie, de la France, de l’Allemagne, de la Norvège et du Conseil et de la Commission européenne lançant l’initiative ACT (Acces to COVID-19 Tools). L’objectif consiste à enclencher un effort de coopération internationale permettant de développer un vaccin qui sera accessible et abordable pour tous.

Tout le cynisme ambiant ne réussit pas à amoindrir la force des propos de ces dirigeants politiques qui malgré le scepticisme de leurs électeurs affirment la nécessité d’instances communes :

« C’est un moment déterminant pour la communauté mondiale. En nous mobilisant aujourd’hui autour de la science et de la solidarité, nous semons les graines d’une plus grande unité demain. Guidés par les objectifs de développement durable, nous pouvons repenser le pouvoir de la communauté, de la société et de la collaboration mondiale pour nous assurer que personne ne sera laissé pour compte. »

Tout compte fait, la pandémie révèle certes l’inaptitude des alliances et institutions des dernières décennies à nous rassembler pour réagir mais elle peut aussi permettre l’accélération d’un mouvement timidement enclenché d’inventer de nouvelles voies de passage de la nation vers le monde.

Il est à souhaiter que la situation actuelle nous pousse collectivement à dessiner un avenir meilleur pour l’humanité et que l’on nous propose le projet politique de le construire.